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Vous travaillez aujourd’hui à construire la ville de demain. Quelle sera-t-elle ?

Les métropoles françaises en 2032 : un regard d’urbaniste
Contribution de Camille Uri

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Trois défis saisissent actuellement nos métropoles : donner envie de ville ; freiner la croissance des prix immobiliers ; et aboutir à une autonomie énergétique et alimentaire, afin d’éviter de repousser l’urbanisation toujours plus loin, de loger toutes les couches sociales et d’optimiser les investissements publics. Les opérations d’urbanisme en France mettent en général une vingtaine d’années à éclore, entre l’impulsion politique et la réalisation complète. Imaginer une ville attractive pour tous à l’horizon 2032, soit au terme de trois mandats électoraux, c’est impulser dès aujourd’hui d’autres modes de conception et de fabrication de la cité, dans la limite des compétences réelles des métropoles.

 

Des équipements servants et l'emploi en cœur de ville

 

Avec l’augmentation très forte du coût des énergies fossiles, une fois le boom des gaz et huiles de schiste passés, et la croissance continue des salaires des pays émergents, certaines productions industrielles délocalisées ces vingt dernières années ont fini par être plus rentables à relocaliser sur le sol français. Les métropoles leur ont donc réservé des terrains en cœur d’agglomération, facilement accessibles en vélo ou transport en commun ; dotés de services et équipements correspondant aux nouvelles exigences de qualité de vie (pratiques sportives, repas, services de proximité...). L’accueil en cœur de ville de locaux d’activité artisanaux, de petite industrie (fabrication d’objets sur mesure, recyclage, etc.), de logistique du dernier kilomètre, de recherche de pointe, de lieux de travail et de création rassemblant étudiants et professionnels, est devenu indispensable pour les métropoles souhaitant favoriser l’innovation et limiter les déplacements routiers.

 

La nature et l'agriculture de proximité pour pivots

 

Parallèlement, de nombreuses métropoles ont fini par sanctuariser 50 à 60% de leur superficie en espaces naturels et agricoles. Les citadins étaient en demande de vastes espaces de respiration et de produits alimentaires locaux. Seul le renouvellement de la ville sur elle-même a été autorisé et certains quartiers, progressivement désertés du fait de leur isolement et de leur manque d’animation, ont même été déconstruits. L’agriculture urbaine a pu se réinventer grâce aux circuits courts et au développement de l’aquaponie[1].

 

De nombreux jeunes, épuisés par le chômage de masse, ont pu prendre possession de terres agricoles pour développer une culture maraichère de proximité, rendue viable du fait de leur contact direct avec les consommateurs. De petites fermes aquaponiques se sont implantées dans les zones d’activités économiques, mais aussi en cœur de ville. Très rentables, car très productives, elles ont contribué à faire exploser les emplois agricoles... en ville, ces néo-agriculteurs pouvant ainsi bénéficier de tous les avantages de la vie dans la cité.

 

Une palette de choix résidentiels, entre intense et intime

 

Les quartiers situés en lisière de ces espaces naturels ont d’ailleurs été les plus prisés et c’est ainsi que les quartiers pavillonnaires, qui avaient fleuri des années 1970 au début du XXIè siècle, se sont densifiés, au gré du départ des personnes âgées, des besoins financiers des propriétaires, des recompositions familiales. Avec l’auto-partage devenu majoritaire en 2030, suite au doublement du prix du pétrole, et le co-voiturage, les citadins ont désormais le choix entre vivre dans la ville intense, au cœur des métropoles, bénéficiant d’une large palette de services (nombreux cinémas, salles de sport, bibliothèques, loisirs pour enfants...), et dans la ville intime, en contact direct avec la nature, avec des équipements et services uniques, accessibles rapidement depuis leur logement ou leur travail par transport en commun. En effet, des bus en site propre et des trains quadrillent les métropoles, depuis que la SNCF a abandonné son programme de TGV et réinvesti, avec les Régions, dans les axes de déplacements pendulaires. Des systèmes de mobilité individuels, à assistance électrique si nécessaire, en libre service, permettent d’assurer les derniers kilomètres sans voiture.

 

Les grandes entreprises et les administrations ont lancé de grands plans concertés de déplacements dans les métropoles pour planifier des décalages des horaires de travail et ainsi éviter les affluences des heures de pointe. Les routes principales d’accès aux métropoles ont été aménagées avec des files réversibles entre matin et soir et des affichages numériques qui redirigent, en temps réel, les automobilistes en cas d’encombrements. Les espaces publics ont pu être réaménagés en faveur de la vie de quartier et des habitants, qui y trouvent un accès wifi illimité, des possibilités de rencontre, de fête, de travail, de sports et de loisirs.

 

Des nouvelles modalités d'animation des villes

 

Pour animer les villes à moindre frais, des terrains en friche ont été confiés par les collectivités locales, temporairement et gratuitement, après appel à idées, à des associations ou entreprises qui y ont développé des activités variées. Évènements artistiques, cours du soir, nouveaux loisirs sportifs, associés à des commerces et services aux horaires décalés, rencontrent un franc succès auprès des travailleurs de la nuit, jeunes, ménages mono-parentaux... Compte tenu de la baisse drastique des moyens des collectivités, un tel transfert d'une partie de la vie de la cité sur l’initiative privée s'avère salutaire. Les collectivités ont, parallèlement, optimisé leurs investissements dans les équipements publics, en mutualisant systématiquement leurs espaces entre plusieurs établissements. Les écoles sont utilisées soirs et week-end pour de l’accompagnement juridique, des cours du soir, des expositions, des projections cinématographiques, mais aussi des leçons de sports, des répétitions spontanées de danse, théâtre, des réunions associatives, des conciergeries de quartier... Les habitants, et en particulier les jeunes femmes, y goûtent le plaisir de la rencontre dans des lieux sécurisés, à l’abri des regards. Pour faire face au développement du e-commerce, les grands centres commerciaux ont intégré de plus en plus d’activités de loisirs, de vie nocturne, et se sont davantage intégrés dans la vie de la cité.

 

Le droit d'usage supplante la propriété

 

Pour lutter contre la hausse des prix immobiliers, constatant que les quartiers de ville qui se sont renouvelés à la fin du XXè siècle ont au final chassé leurs habitants initiaux, des associations se sont constituées, sur le modèle des Community Land Trust américaines, dissociant la propriété de l’usage du logement. Suite à l’explosion de la bulle immobilière en 2020, ces associations ont acheté un certain nombre de terrains et d’immeubles à des prix minorés, avec une aide financière de démarrage de la part des collectivités locales. Des ménages modestes, partis en deuxième couronne pour louer ou acheter à un tarif acceptable, ont pu revenir dans le centre des agglomérations en achetant à ces associations un droit d’usage de ces logements, à un prix de 40% inférieur au prix du marché de l’accession classique. Dans le cas où un ménage revend par la suite son droit d’usage, il récupère 25% de la plus-value réalisée, et reverse les 75% restants à l’association, qui peut ainsi acheter de nouveaux terrains et immeubles et continuer à mettre sur le marché des logements beaucoup moins chers. Le tiers des logements des métropoles est désormais sous ce régime, ce qui a permis d’offrir une véritable alternative au logement social. Cela a totalement supplanté l’accession sociale à la propriété, en vogue au début des années 2000, mais qui impliquait de la part des collectivités une aide individuelle à l’accédant, donc récurrente, devenue impossible suite à la baisse de leurs ressources financières. Enfin, ces associations, en réunissant dans leur conseil d’administration un tiers de représentants de la collectivité, un tiers de détenteurs de droit d’usage et un tiers de voisins du terrain, ont permis de réinventer la concertation de quartier, puisque les habitants deviennent des acteurs directs des projets immobiliers de leur environnement.

 

En outre, l’auto-construction s’est banalisée. De nombreux habitants se regroupent désormais pour construire ensemble un immeuble, en s’appuyant sur un architecte, sans avoir à payer les frais des promoteurs et autres intermédiaires. Les coopératives ayant été reconnues par les banques qui leur concèdent des prêts sans difficulté, les permis de construire sont parfois établis en moins d’un an et les projets sortent de terre rapidement. Les logements sont conçus de manière évolutive pour s’adapter aux changements fréquents de la vie de famille (séparation du couple, enfants grandissants ou besoin d’accueillir un parent vieillissant...) : pièce en plus non chauffée qui, plus tard, pourra être annexée au logement, studio séparable, etc. Pour diminuer les surfaces de logements à acquérir, de nombreux immeubles comprennent désormais des pièces mutualisées  (buanderie, chambre d’amis, salle de réception, jardin partagé...). Parallèlement, le développement de maisons en bois en kit, constructibles en quelques jours, a permis d’installer, sur des terrains délaissés des villes, des habitants en mal de logement, de manière transitoire ou définitive.

 

Des logements plus écologiques

 

Les logements neufs sont tous construits selon le standard passif à énergie positive, adaptés aux grandes chaleurs, ce qui permet aussi d’alimenter en énergie les équipements et locaux économiques des environs. Certaines entreprises produisent une énergie utilisée dans les fermes urbaines voisines. La fermeture des incinérateurs de déchets, la distribution de deux poules par maison avec jardin, et la taxation draconienne des emballages alimentaires ont permis de baisser drastiquement le volume de déchets.

L’eau de pluie est en gestion intégrée complète. Chaque parcelle retient ses eaux pluviales, utilisées pour l’arrosage des jardins, le nettoyage du linge, ainsi que la douche quotidienne. Les toilettes sèches permettent de limiter la consommation d’eau et de produire des engrais naturels pour les potagers familiaux. Les eaux grises et les eaux vannes sont systématiquement séparées, et traitées, pour les premières, grâce à une dispersion dans le sol ; transférées, pour les secondes, vers des centres d’imprégnation, produisant ainsi du fumier à haute valeur ajoutée.

 

Vers l'auto-aménagement

 

L’ensemble de ces évolutions – décentralisation de la production d’énergie et du traitement des eaux usées – rend désormais envisageable le franchissement d’une nouvelle étape pour l’aménagement des villes : l’auto-aménagement.

Pour limiter les coûts des logements, certaines associations d’habitants envisagent en effet de procéder elles-mêmes aux aménagements d’espaces publics nécessaires pour la construction de nouveaux immeubles. Chaque bâtiment étant autonome, plus de réseaux d’électricité nécessaires, ni de réseaux d’eaux usées ou pluviales. Seule la fibre optique et les réseaux d’eau potable restent à faire passer sous les rues ; mais des négociations ont été menées avec les grands groupes industriels pour qu’ils fournissent des kits de pose puis délivrent un visa après contrôle des installations. Les rues sont donc construites au fur et à mesure par les habitants eux-mêmes, selon un guide produit par la collectivité, qui vérifie les réalisations avant de reprendre possession de ces espaces.

 

Camille Uri

 

 

 

[1] Des poissons sont élevés en aquaculture, leurs déjections sont transformées par des bactéries en nitrates qui permettent de faire pousser des légumes, les végétaux purifiant ensuite l’eau naturellement, ce qui permet de recycler cette eau pour les poissons ; ce système permet donc de produire à la fois des poissons et des légumes.

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