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Dans la rue, où se niche

le politique ?

Alors qu’à la fin des années 70, le fond de l’air était clairement contestataire, le théâtre de rue est-il politique aujourd’hui ? Devrait-il l’être ?

 

Au sein de ce qu'il appelle le "répertoire des formes de la mobilisation citoyenne" dont il a fait son objet d'étude, le sociologue Albert Ogien décrypte plus particulièrement les rassemblements dans l'espace public, notamment dans leurs déclinaisons spectaculaires, proposant in fine son regard sur la dimension politique des arts dans l'espace public. 

Trouble dans le politique
Contribution d'Albert Ogien

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Les manières dont les citoyens des pays démocratiques conçoivent le vote, l’engagement, l’activisme, la contestation ou la révolte sont devenues floues et incertaines. Cette indécision se manifeste de multiples façons : abstention, défiance vis-à-vis des gouvernants, dégoût de la politique, vote extrémiste, etc. Et également en recourant à un mode de protestation inédit : le rassemblement, c’est-à-dire la rencontre fortuite dans la rue ou sur des places de citoyens qui, par leur présence opiniâtre dans l’espace public, expriment le rejet des décisions que les gouvernants prennent au nom du bien commun et de la manière dont ils remplissent la mission qui leur a été confiée.

 

La caractéristique première de cette forme d’action politique, qui s’est déployée en régime démocratique comme en régime autoritaire, est de laisser la plus complète liberté d’expression aux individus qui y participent, signant le refus des discours clos des idéologies et de la rhétorique économique dominante. L’autre caractéristique est l’adoption d’un mot d’ordre unique : démocratie ! Ce qui a rendu possible l’unanimisme qui y a prévalu est, dans les pays développés, le sentiment que les principes fondateurs de la démocratie représentative (élection libre et périodique de représentants du peuple par le vote universel, alternance, séparation des pouvoirs, liberté d’association et d’opinion, Etat de droit, développement des droits sociaux et civiques, etc.) se sont érodés ou sont bafoués par un exercice du pouvoir passé aux mains d’une « caste » qui a fait de la politique sa profession et ne répond plus aux aspirations des citoyens au nom desquels elle est censée gouverner.

 

C’est sur le fond de cette désillusion que la revendication de démocratie directe s’est imposée, exigeant la pleine réalisation des promesses contenues dans la devise : le pouvoir du peuple par le peuple et pour la peuple. Les rassemblements ont mis cette exigence en pratique en instaurant une organisation visant à contrer les forces qui transforment les modalités de délégation de pouvoir en son accaparement par des chefs ou des « leaders » et conduisent à la dépossession des participants de leur capacité à peser sur les choix collectifs. La démocratie directe s’est expérimentée dans ces procédures qui visent à faire vivre l’autonomie, la responsabilité, la mutualité et l’égalité. C’est en ce sens qu’il faut également comprendre la méthode qui y a été suivie et qui reconnaît une identique importance à toute opinion exprimée, prend des décisions par consensus et pas par vote à la majorité et affiche la non-violence comme tactique. Il faut noter que cette mise en acte de la démocratie directe ne se présente pas comme un rejet du système représentatif : elle entend simplement engager les individus dans l’expérience d’une manière de vivre les relations sociales qui met en valeur l’intelligence collective qu’ils sont en mesure de produire.

 

Une volonté guide donc la démarche adoptée dans le rassemblement : rester fidèle à une attitude respectueuse des choix de vie de chacun, porteuse d’un idéal de dignité des personnes, soucieuse d’instaurer l’égalité, s’opposant à toutes les discriminations et toutes les injustices et livrant à la connaissance de tous l’intégralité des informations concernant leur action. C’est dans cette perspective que s’inscrit le choix de donner pleine souveraineté aux assemblées délibératives, de ne déléguer aucun pouvoir à des représentants qui ne soit contrôlé par les mandants, d’attribuer les responsabilités sur base de volontariat, de combattre la division sexuelle des rôles et les exclusions, de favoriser la gratuité, la coopération et la solidarité. En un mot, les pratiques de la démocratie directe telles qu’elles ont été mises en œuvre dans les rassemblements, ne se situent pas dans le cadre des enjeux de la démocratie en tant que régime politique, mais visent plutôt à réaliser la démocratie comme « forme de vie » (un ordre de relations sociales débarrassé de toute trace de domination de classe, de genre, de nationalité, de formation ou de capacité) et à étendre cette forme de vie à tous les aspects de la vie collective (dont la façon de pratiquer la politique elle-même). C’est ainsi que la revendication de démocratie directe renvoie, aujourd’hui, à une exigence : introduire dans le débat public l’idée qu’il faut faire du politique (la forme de vie que propose le principe démocratie) l’objet de la politique (l’activité institutionnelle réalisée dans le cadre d’un régime politique). Autrement dit, affirmer qu’il est tout aussi politique de s’engager à changer la manière dont les relations sociales s’organisent que de travailler à s’emparer du pouvoir de gouverner. C’est ce déplacement qui cause ce trouble dans le politique qui gagne l’espace public des sociétés contemporaines.

 

La revendication de démocratie directe porte une contestation de toutes les démarches qui tendent à imposer la soumission à l’autorité et le conformisme, en dénonçant celles que les régimes démocratiques engendrent et admettent. Rien à voir donc avec cet autre type de contestation des régimes démocratiques qui rejettent la légitimité voire la validité des principes de liberté, d’égalité et de justice dont ces régimes se réclament. Il y a dans cette différence un enjeu politique crucial. Il importe aujourd’hui de ne pas faire la confusion entre deux options, qui s’affrontent dans le débat public. La première est une critique externe de la démocratie, qui affirme que puisque celle-ci s’avère être un régime qui produit impuissance parlementaire, insignifiance du débat public, captation de la représentation, mépris des citoyens et déni des besoins de la population, il faut s’en débarrasser et laisser place à un régime autoritaire qui saura enfin prendre les décisions nécessaires pour sauver une « nation en danger ». La seconde est une critique interne, qui défend une démocratie plus radicale en travaillant à l’extension des droits de contrôle des citoyens sur leurs gouvernants, à la multiplication des sites de négociation, à la reformulation des priorités politiques, à la relocalisation de la décision politique et à la production et à la diffusion d’une information libre.  

 

Ce à quoi la première critique entend aboutir est bien connu – même si le moyen dont se servent actuellement ceux qui prônent le retour à un régime autoritaire ou totalitaire n’est pas la violence mais la procédure électorale. Ce que les tenants de la seconde critique entendent accomplir est moins évident (ou renvoie au mieux à des projets utopiques). C’est pourquoi une des questions qui ont été adressées aux défenseurs de la démocratie directe a été celle de l’efficacité de la protestation qu’ils ont portée sur les places. En règle générale, si ces mobilisations ont été tenues pour légitimes et bienvenues, elles ont été jugées totalement vaines et absurdes dans la mesure où elles n’ont ni modifié l’ordre des choses ni même renversé les gouvernants qui l’actualisent. Mais alors, à quoi ces mobilisations ont-elles bien pu servir dans les pays démocratiques ?

 

La première chose que les rassemblements ont réussi à faire, du simple fait de leur succès et du soutien qu’ils ont obtenu auprès de la population, c’est de rendre publique la transformation du rapport à la chose politique que les citoyens entretiennent aujourd’hui et qui fonde leur désarroi ou leur colère face aux agissements de ceux qui prétendent les diriger. Ni les sondages ni les élections ne portent à ce degré la radicalité la défiance et le mépris que les citoyens peuvent concevoir au sujet de leurs représentants et du petit monde d’experts et de conseillers qui gravitent autour d’eux. L’expression de cette « politique de la rue » permet de constater à quel point les catégories dans lesquelles les commentateurs et les professionnels de la politique ont coutume de la penser sont devenues obsolètes. Les rassemblements ont ainsi permis de mettre au jour le fait que la conception que les citoyens se font aujourd’hui du politique et de la démocratie a changé, probablement de façon irréversible, sous l’effet de la longue période de paix et de croissance économique  qu’ont connue les pays développés, marquée par :

  • un enrichissement relatif de la population;

  • l’extension des droits individuels;

  • la globalisation des problèmes politiques (environnement, droits de l’homme, migrations, économie, etc.);

  • la création d’un espace politique mondial (institutions internationales et ONG);

  • le déclin de l’Etat-nation comme lieu de la décision politique;

  • l’émergence d’une solide expertise de la société civile;

  • la professionnalisation de la politique et l’écart entre gouvernants et gouvernés;

  • l’accroissement de la dualisation du monde et des sociétés (séparation toujours plus large entre ceux qui participent ou sont exclus de l’ordre du capitalisme financier).

 

Tout cela fait que les citoyens ne sont plus des ignorants ballottés au gré de ce que leurs dirigeants leur intiment de penser. En fait, tous les changements qui ont affecté le monde depuis un demi siècle font que ce qui relève de la politique, et de la manière de la pratiquer, ne sont plus du tout ce qu’elles étaient il y a un demi siècle. Il n’est donc pas étonnant de constater la distance que les citoyens manifestent vis-à-vis d’un monde politique auquel ils ne reconnaissent plus beaucoup de vertus ou dont ils constatent qu’il a perdu prise sur l’essentiel des affaires publiques qu’il prétend encore régenter.

 

Le recours à la forme d’action politique qu’est le rassemblement (qui tend à devenir systématique, comme le montrent les occupations de place à Hong-Kong ou à Ouagadougou en 2014, comme la mobilisation des Japonais contre la nouvelle loi sur l’engagement militaire extérieur de leur armée en septembre 2015) consacre la légitimité de la volonté des citoyens d’intervenir pleinement dans la définition des questions d’intérêt général et de peser sur la manière dont le gouvernement s’occupe du bien commun. C’est ainsi que l’invocation de l’idée de démocratie directe s’accompagne d’une affirmation : le citoyen ordinaire est tout autant qualifié que les gouvernants et les experts pour décider du destin de la collectivité dans laquelle il vit. Ce qui veut dire qu’il ne doit pas seulement être consulté au sujet de quelques « questions de société » sensibles (médecine, euthanasie, biotechnologies, budgets locaux, aménagement urbain, etc.) comme le voudraient ceux qui défendent encore l’idée de démocratie participative ou délibérative. La revendication est plus radicale : obtenir le droit de se prononcer sur toutes ces questions qui engagent la souveraineté ou l’« avenir de la nation » qui restent encore le monopole des gouvernants et de la représentation nationale (économie, finance, investissement, budget, orientation générale). En ce sens, l’importance de l’adhésion à cette conception de la démocratie directe (qui a été établie par les sondages d’opinion) mesure l’accroissement de l’autonomie de jugement des citoyens (égalité des opinions et des voix ; rejet des hiérarchies ; remise en cause des autorités) qui est la marque de la modernité. Et c’est ce phénomène que les rassemblements sont venus rappeler.

 

L’occupation physique d’un espace – public ou privé – est peut-être une des formes premières de l’action politique. C’est une manière sauvage d’exprimer son désaccord – comme cela se produit de façon plus brutale avec les émeutes. Dans les pays démocratiques, le recours à cette modalité de la protestation pose problème : pourquoi l’adopter alors qu’une multitude d’autres voies existent pour faire entendre ou faire valoir son point de vue ? L’occupation ne s’apparente pas à la manifestation : elle est une action autonome de citoyens qui ne sont pas pris dans la hiérarchie d’une organisation politique officielle. Ceux qui y participent ignorent la distribution rituelle de positions dans le jeu obligé des affrontements idéologiques et récusent la « langue de bois » et ceux qui ne savent pas en sortir. Cette forme d’action politique suscite toujours une effervescence créative et poétique intense (comme par exemple en Mai 68, à Tienanmen, au moment de la chute du mur de Berlin, lors des révoltes étudiantes en Grèce en 2008, sur la place Tahrir au Caire en 2011, ou à Nuit debout à Paris et ailleurs en 2016) - comme si une énergie trop longtemps contenue ou encadrée explosait en se répandant dans l’espace public sans contrainte, sans censure et sans respect des conventions.

 

L’effervescence créative et poétique qui accompagne régulièrement toutes les explosions de revendication politique “sauvage” s’accommode toujours aux formes d’expressivité dominantes. Celle qui éclate actuellement est donc directement en phase avec l’importance stratégique qu’a prise la communication dans l’action politique contemporaine. Les rassemblements ont démontré la capacité de leurs participants à se servir des réseaux sociaux et de la production d’images pour organiser, faire connaître et durer leur action en assurant sa « visibilité » avec un certain professionnalisme, que ce soit dans le contrôle des données (politiques, économiques, scientifiques, intellectuelles) ou celui des contenus (témoignages, reportages, vidéos, analyses) diffusés. Cette nouvelle forme de l’action politique pose publiquement le problème de la propriété sociale de l’information ; question également soulevée par le travail de WikiLeaks, des Anonymous et d’Edward Snowden ; ou le dévoilement du contenu des négociations au sujet de la dette grecque qui ont eu lieu en été 2015 et que le ministre de l’Economie grec Yannis Varoufakis a rendu public - ou par ceux qui dénoncent l’opacité des discussions sur le TAFTA.  

 

La mise en scène à des fins de médiatisation est devenue, avec le mouvement altermondialiste et la rencontre d’activistes des quatre coins de la planète à la fin des années 1970, une dimension constitutive de l’action politique. Cette attitude s’est développée avec le détachement des engagements militants dans des partis qui formatent la pensée et l’accroissement de l’autonomie de jugement. L’indépendance d’esprit est une condition de la liberté et de l’inventivité dans l’expression de la protestation politique. D’autres facteurs ont joué dans le mouvement visant à donner un caractère plus ludique aux mobilisations, parmi lesquels il ne faudrait sans doute pas négliger l’influence des grands festivals de musique, tout comme les raves parties, la Gay Pride ou les « flash mobs » (dont Mikah White – reconnu comme un des principaux inspirateurs d’Occupy Wall Street – a rappelé qu’ils ont servi de modèle à l’occupation à New York).

 

Cette « théâtralisation » de l’action politique – par le déguisement, la dérision, les happenings, l’ironie – lui donne cette coloration joyeuse qu’on découvre dans les initiatives de groupes d’ « artivistes » comme Reclaim the Street, la Brigade Activiste des Clowns, Reclaim the Night, ou dans les actions militantes d’Act up ou des Femen, comme dans celles menées par des Indignés contre les banques en Espagne, les manifestations contre les « Grands Projets Inutiles Imposés » ou les initiatives festives d’Alterniba. Une bonne image de ce à quoi ce mode d’expression de l’action politique donne lieu en termes de créativité a été la Grande parade organisée par Tout Autre Chose/Hard Boven Hard à Bruxelles en mars 2015, qui a réuni une coalition d’associations sans direction unique mais unies dans une revendication à caractère très général (pour l’avenir de la Terre, ou au nom du “peuple” ou des “99%”) . C’est également ce qu’on observe avec les multiples mises en scène qui s’organisent autour de la réunion de la COP 21 à Paris. Il faut cependant ajouter qu’une autre source de l’inventivité de l’expression politique est le besoin de contourner les rigueurs toujours plus violentes de la répression des expressions de la contestation (comme on a pu le voir au Québec ou à Istanbul).

 

Voilà qui conduit à se poser une dernière question, qui se trouve peut-être au cœur des préoccupations de nombreux artistes de rue : qu’est-ce qui différencie la remise en cause de l’ordre établi (ou celle du conformisme) que proposent l’action politique d’une part, et les compagnies d’arts de rue d’autre part ? Pour répondre à cette question, il faut d’abord partir d’un constat : dans la mesure où les deux termes art et politique existent dans le langage ordinaire, et où leurs usages évoquent des choses de nature distincte, il convient de découvrir les critères dont on se sert pour indiquer ce qui les distingue lorsqu’on en parle. Quels sont donc ces critères ?

 

Le premier est évident : on tient une action pour « politique » lorsqu’elle s’inscrit dans le cadre d’une revendication articulée adressée aux détenteurs du pouvoir de la satisfaire et dont on mesure le succès au fait qu’elle l’a été (même partiellement). Toute action qui participe à la formation de la loi commune (instituer un droit, accroître les libertés, imposer une amélioration de condition, etc.) sera immanquablement tenue pour politique, même si elle prend parfois des allures d’une pièce dramatique (comme cela a pu être le cas avec les multiples rebondissements qui ont récemment émaillé l’accouchement de la loi Travail). Mais il est d’autres manières de faire entendre une exigence de nature politique que celles qui s’inscrivent dans le cadre de l’activité politique instituée. C’est, par exemple, le pari que font certaines formes d’expression artistiques lorsqu’elles visent à développer un regard sur le monde en écart avec les catégories d’ordre et de bienséance imposées par une conception dominante de la vie sociale.

 

L’art est toujours voué, comme par construction, à libérer les forces de l’autonomie et de l’anti-conformisme non pas par le truchement d’arguments rationnels et avec la force de conviction, mais par le biais d’une expérience esthétique qui modifie le regard que les individus portent sur le monde et leurs semblables. Cette modification peut être tenue pour intrinsèquement politique. Les artistes qui envisagent leur travail dans cette perspective préfèrent souvent (et cela dépend bien sûr des contextes dans lesquels une œuvre est présentée) ne pas afficher la teneur de leur ambition, parfois pour que l’effet recherché soit réellement atteint. Mais il existe des circonstances dans lesquelles la puissance esthétique de l’art est mise au service d’une cause, que ce soit celle de l’asservissement aux critères d’ordre et de soumission (qu’on pense aux mises en scène des meetings nazis et aux films de Leni Riefensthal ; ou aux productions de l’Agit-prop et de la propagande de type stalinienne pour ne prendre que les exemples les plus emblématiques alors qu’il y en d’autres, moins visibles mais tout aussi efficaces dans la formation des esprits, comme la publicité ou le marketing) ; ou que ce soit en défense de principes moraux nobles, comme l’égalité et la dignité des personnes (Charles Chaplin dans Le dictateur) ; ou afin de dénoncer les agissements scabreux de pouvoirs malsains (tous les pièces et films qui sont immédiatement rangés dans la case : « politiques ») ; ou encore de productions qui cherchent à éveiller ou conforter la liberté de jugement. C’est ce que tendent à faire ces spectacles dont l’objet est de mettre à nu ou de moquer les travers des puissants, leur ridicule, en usant du sarcasme et de la dérision. Que ce soit par le décentrage du regard ou par les effets de dévoilement qu’il cherche à produire, l’art contient donc nécessairement une dimension politique. Et c’est très clairement le cas des arts de rue puisque, en prenant délibérément le parti d’aller au devant des spectateurs et d’abolir les obstacles (financier, de prestige, de charisme ou de notoriété) qui mettent les œuvres et les spectacles à distance de ceux auxquels ils s’adressent, ces formes d’expression rompent avec l’ordre courant des choses et détruisent des hiérarchies établies.

 

Voilà donc quelques éléments qui permettent, je l’espère, de clarifier les termes de deux questions. La première renvoie à une dimension de la critique actuelle de la démocratie : si la mise en scène fait aujourd’hui partie intégrante de l’activité politique, celle-ci se réduit-elle pour autant à un jeu dénué de tout engagement de principe et uniquement guidé par la réélection ou la perpétuation de la détention du pouvoir ? Et la seconde se pose à ceux des artistes de rue qui s’interrogent sur le sens de ce qu’ils font : réalisent-ils encore leur vocation d’éveil des consciences par l’émotion et la beauté (une action qui relève « du » politique et pas de « la »  politique) ou leur esprit critique s’est-il totalement évanoui dans l’exercice de ce qui est devenu un métier ? Ce questionnement est sans doute un peu excessif : on ne peut pas douter du fait que la forme même que prennent leurs spectacles et leur interventions remplit fatalement une fonction politique (celle de briser les conventions admises) et continuera à le faire tant qu’ils pourront s’exprimer librement devant un public. Et cela ne risque pas de prendre fin un jour…

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Albert Ogien

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